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Grâce à sa constitution de Naga, Thierry se remit rapidement de ses blessures, mais cela n'apaisa en rien ses rancunes. Le lendemain de son raid dans l'antre de Perfidia en Estrie, il était déjà prêt à retourner à l'attaque. Ce fut le patient Damalis qui lui fit comprendre qu'un bon soldat ne partait pas à la guerre sans préparation. Ils étaient tous les deux assis dans le temple, de chaque côté du brasero, tandis que les autres Spartiates aidaient la déesse Andromède à préparer le repas du midi dans la cour. Thierry ne voulait pas démordre de son plan.
— Nous ne savons même pas si elle est à Sherbrooke, le mit en garde Damalis.
— Il n'y a aucune autre grande ville dans cette région. Mon instinct me dit qu'elle demandera asile à un roi Dracos en attendant de trouver de nouveaux souterrains. Il ne faut pas attendre qu'elle s'installe dans un endroit inaccessible par la route.
— Tu as sans doute raison, mais je penche encore pour une plus longue réflexion.
— Les traqueurs ne reçoivent comme seule information que le lieu où se trouve leur cible. Le reste dépend d'eux. Je n'ai qu'à patrouiller une ville pour retrouver un Dracos.
— Cette fois-ci, tu ne t'y rendras pas seul, Théo.
— Je ne veux pas mettre vos vies en danger.
— Nous sommes entraînés à nous battre. C'est notre travail. La seule différence entre nous, c'est que tu possèdes encore l'œil du dragon.
Thierry hésita.
— Pense un peu au temps que tu gagneras si nous agissons en équipe, le tenta Damalis. Sept Nagas pourront certainement venir à bout de Perfidia et du roi Dracos.
— Mes chéris, le déjeuner est prêt ! les appela Andromède.
Damalis émergea le premier du petit bâtiment immaculé, aussitôt suivi de Thierry. Les Spartiates avaient fait rôtir une pièce de viande sur la broche. Thaddeus la découpait en tranches qu'il déposait ensuite dans les assiettes en terre cuite que lui tendait la Pléadienne. Puis Aeneas les portait jusqu'à la table ronde autour de laquelle les autres guerriers s'étaient installés. Il y avait aussi du pain frais, du fromage, des pommes de terre et des légumes variés, en libre-service au centre du meuble.
Thierry prit place parmi les hommes affamés et remercia la déesse qui les nourrissait si bien.
— Vous avez meilleure mine qu'hier, remarqua-t-elle.
— Cela peut vous sembler dur à croire, mais j'ai très belle allure dans un complet lorsqu'il n'est pas troué de balles, répliqua-t-il en souriant légèrement.
— Personnellement, je trouve que le chiton vous va bien.
— C'est confortable, à tout le moins.
— Avez-vous téléphoné à ma fille ?
— Pas encore, mais je le ferai avant de repartir à la chasse.
Andromède s'adossa dans sa chaise de paille en affichant un air réprobateur.
— J'ai une mission à accomplir et personne ne pourra m'en dissuader, l'avertit Thierry. Pas même Océane.
— Soyez sans crainte, déesse, nous l'accompagnerons cette fois, la rassura Damalis.
— Vous allez tous partir ?
— Deux d'entre nous resteront ici.
Les Spartiates se mirent à maugréer tout bas, car l'inactivité leur pesait.
— Qui emmèneras-tu avec toi ? le questionna Eryx.
— Le sort en décidera, car nous tirerons les chanceux à la courte paille.
Ils avalèrent leur repas comme de jeunes loups. Contrariée de voir repartir son gendre pour une autre croisade sanglante, Andromède mangeait du bout des lèvres.
— Devez-vous vous rendre dans un autre pays ? demanda-t-elle finalement.
— Pas cette fois, assura Thierry. Je pense que la reine se trouve à Sherbrooke.
— Comment comptez-vous vous y rendre ?
— Mon camion est resté près des cavernes de cristal. Il est suffisamment spacieux pour transporter cinq adultes.
— La déesse pourrait sans doute nous venir en aide, suggéra Damalis.
— Vous ne possédez pas de voiture, à ce que je sache, Andromède, se rappela Thierry.
— Elle n'en a nul besoin ! s'exclama Kyros en riant.
Puisqu'ils avaient passé beaucoup de temps en compagnie de la riche veuve, les Spartiates en savaient bien plus long que Thierry sur ses moyens de locomotion.
— Éclairez-moi, la pressa le varan.
— Elle ne veut pas qu'on le dise à tout le monde, mais j'imagine qu'à toi on peut en parler, déclara Eraste.
— Et puis, tu fais partie de la famille, maintenant, ajouta Thaddeus.
Thierry lança un regard interrogateur à la Pléadienne.
— Je possède quelques pouvoirs intéressants dont je ne me sers pas très souvent, monsieur Morin, expliqua-t-elle. L'un d'eux a permis à Damalis et à ses frères de se porter à votre secours.
— Mais comment avez-vous su que j'étais en difficulté ?
— Je vous ai jeté un tout petit sort pendant votre séjour avec ma fille.
— Un sort ? se troubla le Naga.
— C'est une toute petite puce pléadienne injectée dans votre sang au moment de votre naissance, qui me permet de savoir en tout temps où vous êtes et si vous éprouvez des difficultés.
« Comme ma mère », songea-t-il.
— Vous ne m'en voulez pas, j'espère.
— Non, madame, à moins que les Dracos ne soient en mesure de s'en servir pour me retracer, eux aussi.
— Rassurez-vous, ces reptiliens ne sont pas assez évolués pour sentir les énergies subtiles. En fait, ils nous envient nos capacités télépathiques.
— Ce sont en effet des créatures à l'esprit davantage scientifique, raisonna le traqueur. Pourriez-vous vraiment nous transporter à mon camion ?
— Oui, mais il faudra me donner le temps de concentrer mes forces, car ce n'est pas une mince affaire.
— Quand serez-vous prête ?
— Demain, je crois.
Andromède remarqua la déception sur le visage de l'ancien policier.
— C'est le mieux que je puisse faire.
— Je vous en remercie.
— En attendant de procéder à ce déplacement, parlez-moi de cette reine que vous cherchez.
Chacun à leur tour, les Spartiates lui racontèrent ce qu'ils savaient. Perfidia était arrivée sur Terre dans un vaisseau spatial, comme toutes les souveraines avant elle. Contrairement aux rois qui pouvaient quitter les dimensions invisibles par la pulvérisation de leurs cellules, la reine devait être, déplacée physiquement, sinon elle risquait de perdre ses facultés de reproduction. Personne ne savait quel âge elle avait, mais on se doutait que les Dracos l'avaient déposée sur la planète il y avait de cela des centaines d'années. Perfidia avait depuis engendré des milliers de princes qui occupaient à présent des postes de direction partout à travers le monde. Mais pour procréer, il lui fallait au moins un roi.
— À mon avis, elle n'en a pas toujours eu, indiqua Thierry. J'ai vu des princes grisâtres dans son antre. Ils n'étaient pas purs.
— Ces bâtards peuvent-ils nous faire autant de tort que les albinos ? demanda Aeneas.
— Non, répondit le varan, puisqu'on les rabaisse éventuellement au même niveau que les esclaves qui les servent.
— Si vous réussissez à tuer cette Perfidia, les Dracos ne réagiront-ils pas violemment ? s'inquiéta Andromède.
— C'est possible, et ils nous enverront sûrement une autre reine, mais cela prendra des centaines d'années avant que cette dernière n'arrive sur Terre. Les habitants de cette planète auront d'ici là eu le temps de se débarrasser de tous les dictateurs reptiliens.
— Si l'Antéchrist dont tu nous as parlé est un Anantas, intervint Kyros, je pense que c'est lui qui éliminera tous ces Dracos, car ce sont de mortels ennemis.
— Mais les Anantas représentent un bien plus grand danger pour cette planète, mon frère, lui fit savoir Damalis.
— Il est dommage que tous ces talents soient utilisés pour la guerre plutôt que pour l'avancement de la société, soupira Andromède.
— Nous en sommes arrivés là parce que nous avons toléré les Dracos, maugréa Thierry.
— Il ne sert à rien de revenir en arrière, Théo, conseilla Damalis. Nous pouvons encore corriger cette situation même si nos procédés chagrinent la déesse.
— Je ne vous demanderai pas de détails à ce sujet, assura Andromède.
Eryx alla porter les plats vides dans la cuisine, où la Pléadienne avait allumé le téléviseur. Fort heureusement, d'ailleurs, car tandis qu'il déposait la vaisselle sale dans l'évier, quelques mots prononcés par l'animateur attirèrent aussitôt son attention. Le Spartiate se tourna vers l'écran, sur lequel jouaient en permanence les nouvelles de CNN depuis le Ravissement.
— Jamais nous n'aurions cru ce miracle possible, disait le journaliste, ravi. Les hostilités entre ces deux peuples semblaient vouloir encore durer des siècles, mais un seul homme a réussi là où tant d'autres ont échoué.
Eryx glissa tout de suite sa tête à travers la porte-fenêtre qui séparait la cuisine du jardin.
— Vous devriez venir écouter les nouvelles ! lança-t-il.
Les guerriers se précipitèrent dans la maison comme s'ils allaient défendre un château fort assailli par des milliers d'ennemis. Andromède les suivit avec plus de décorum. Empilés les uns par-dessus les autres, les hommes regardèrent silencieusement le reste du reportage. La Pléadienne se glissa doucement derrière eux et se contenta d'écouter la voix du journaliste, car ses protégés étaient tous trop grands pour qu'elle puisse voir quoi que ce soit.
— Asgad Ben-Adnah est un entrepreneur israélien qui a connu beaucoup de succès dans le domaine de l'informatique. Au lieu d'utiliser sa fortune pour s'offrir du bon temps, il a passé toute sa vie à aider les plus démunis. Il a fourni des fonds à plusieurs écoles, ouvert des centres culturels pour occuper la jeunesse de Jérusalem et, très récemment, il a fait construire un nouvel hôpital. Monsieur Ben-Adnah ne s'est jamais intéressé à la politique avant aujourd'hui. Écoutons ce qu'il avait à dire lors de la conférence de presse qu'il a donnée au Sheraton Jérusalem Plazza ce matin.
Asgad apparut à l'écran. Dans un complet impeccable, il se tenait debout derrière un lutrin en bois. Des flashs éclairaient continuellement son visage, mais ne l'empêchaient pas de faire son discours.
— Je suis né à Jérusalem, commença Ben-Adnah sans même lire son texte. Cependant, je me considère aussi comme un citoyen du monde. Ce n'est pas la paix dans mon pays que je recherche autant que la paix sur toute cette planète. Il a fallu que je me réveille d'une longue maladie pour qu'enfin mes yeux s'ouvrent à la vérité. Le bonheur commence dans notre propre maison avant de s'étendre à l'univers. J'ai donc étudié ce qui se passait chez moi et j'ai compris que nous n'étions pas un bon modèle de comportement pour les autres nations. Donc, en trouvant une façon de régler les problèmes dont souffre mon pays, j'ai pensé que je pourrais enfin réaliser mon rêve le plus cher, soit celui de voir les hommes vivre en harmonie.
— Il parle comme un Pléadien, commenta Andromède.
— Les textes sacrés affirment qu'il y aura beaucoup de faux prophètes avant le retour du Fils de Dieu, leur rappela Damalis. Cet homme n'est peut-être pas ce qu'il semble être.
— Je vous en prie, écoutez-le, implora Thierry.
— Avant le lever du soleil, ce matin, j'ai rencontré les chefs des deux factions opposées qui déchirent mon pays et je leur ai proposé de faire un geste spontané et inattendu, continua l'homme d'affaires. Au lieu de leur imposer un plan d'action taillé sur mesure par et pour les grandes puissances de ce monde, je les ai simplement écoutés. Tout ce qu'il me restait à faire, c'était de trouver un terrain d'entente, et je l'ai trouvé. Je vous annonce donc, en leur nom, que le Temple de Salomon sera rebâti à l'emplacement qu'il occupait jadis dans l'Antiquité.
Il y eut un tonnerre d'applaudissements dans la salle, où Ben-Adnah donnait cette conférence de presse, ce qui força ce dernier à attendre que l'audience se soit calmée avant de prononcer le reste de son discours.
— Comment a-t-il réussi un exploit pareil ? s'étonna Eryx.
— Les Anantas sont comme les serpents, leur expliqua Thierry. Ils sont capables d'hypnotiser les gens avec leurs yeux ou par leurs paroles.
— Ce ne sera pas un temple uniquement réservé aux Juifs, poursuivit l'homme d'affaires. Ce sera le premier monument consacré à la paix mondiale. Hommes, femmes et enfants pourront venir y adorer leur dieu, et ce, en bénéficiant du plus grand respect de la part des adeptes des autres religions. Ce sera un lieu de tolérance, d'acceptation et de croissance.
Les applaudissements fusèrent de plus belle dans la salle. Thierry remarqua alors le jeune homme qui se tenait dans l'ombre de Ben-Adnah. Ses traits parfaits n'appartenaient pas à ce siècle… Coincé dans un complet sombre, Antinous demeurait immobile comme une statue et ne semblait pas partager l'allégresse des journalistes. « Il n'a pas non plus l'attitude d'un garde du corps », remarqua le Naga qui en avait déjà affronté plusieurs en voulant éliminer leurs maîtres Dracos.
— Le traité signé il y a à peine quelques heures sera rendu public ce soir, continua l'entrepreneur. Il s'agit d'une trêve de sept ans au cours de laquelle les constructions qui s'élèvent actuellement sur le site du temple seront démantelées et transportées ailleurs, et le temple lui-même sera reconstruit. Une maquette de l'édifice ne sera par contre disponible que dans quelques semaines.
Thierry entendit évidemment les mots clés prononcés par Ben-Adnah : « traité », « sept ans » et « temple ». Cet homme au passé pourtant remarquable venait en effet d'accomplir le premier geste de l'Antéchrist.
— Tu connais désormais le visage de ta deuxième cible, constata Damalis.
— Vous n'allez tout de même pas vous en prendre à ce bienfaiteur qui veut réconcilier les habitants de la Terre ? s'étonna Andromède.
— Ce ne sont que de vaines promesses dans la bouche d'un homme possédé par Satan, répliqua le traqueur, plus décidé que jamais à repartir à la chasse.
Thierry quitta le groupe et se dirigea vers le couloir.
— Où vas-tu ? le questionna Damalis.
— J'ai besoin de réfléchir.
Il fouilla dans la commode de la chambre qu'il avait partagée avec Océane et revêtit des vêtements qui attireraient moins l'attention, puis quitta la maison. Il se rendit jusqu'à la montagne, qu'il escalada sans vraiment s'en rendre compte, car ses pensées étaient ailleurs.
Il savait que Silvère ne s'en prendrait pas de sitôt à la reine des Dracos, car les autres varans qu'il formait étaient plus jeunes que lui et inexpérimentés. Quelle position adopterait son ancien maître vis-à-vis de l'Antéchrist ? Cet homme diabolique représentait un grave danger. Son mentor ne resterait certainement pas sans rien faire. Thierry alla jusqu'à imaginer que le vieux Naga pourrait considérer l'éventualité de l'éliminer lui-même. Il y avait bien d'autres traqueurs dans le monde éduqués par d'autres guides, mais Thierry n'en avait jamais rencontré lors de ses nombreux voyages en Europe. Silvère lui avait déjà glissé un mot à leur sujet, mais Thierry ignorait s'il s'agissait de novices ou de professionnels…
Il suivit un sentier sur le bord d'un ruisseau habituellement à sec. Mais il avait tant neigé durant l'hiver qu'il irriguait la montagne alors que le printemps touchait à sa fin. Les fleurs sauvages commençaient à poindre dans les fourrés et leur parfum embaumait la forêt. Le Naga prit place sur un petit rocher et sortit son téléphone cellulaire de la poche de son veston. Océane. Il observa le petit appareil pendant un long moment, puis se décida à appuyer sur le bouton de la composition abrégée. La sonnerie ne retentit pas longtemps.
— Où es-tu ? fit la voix tendue d'Océane.
— Je suis à Saint-Hilaire, dans la montagne.
— Ce qui veut dire que tu n'es pas au courant de ce qui se passe en ce moment au Moyen-Orient ?
— J'ai entendu le discours d'Asgad Ben-Adnah.
— Penses-tu la même chose que moi ?
— Si les prophètes ont dit vrai, c'est notre homme.
— Je t'en conjure, ne t'attaque pas à lui sans aide.
— Je ne t'ai pas appelée pour me disputer avec toi, Océane, alors n'essaie pas de me faire changer d'avis. Dès que j'aurai abattu Perfidia, je m'envolerai pour Jérusalem et je serai seul. C'est ainsi que j'ai appris à faire mon travail.
— Tu me connais mieux que ça, Morin.
— Si je m'aperçois que tu m'as suivi là-bas, je t'emprisonnerai sous terre pour ton propre bien.
— Tu n'oserais jamais.
— Je l'ai déjà fait à Montréal.
Avant que le policier ne se mette à éprouver de tendres sentiments pour Océane, il l'avait en effet enfermée dans un placard tandis qu'il chassait le Faux Prophète de l'Hôpital Notre-Dame.
— Maintenant que je te connais, tu ne m'auras plus aussi facilement.
— Ne me mets pas au défi, Océane.
Elle garda le silence pendant quelques secondes, mais il devina qu'elle bouillait de colère.
— Tu me manques, chuchota-t-elle plutôt, à sa grande surprise. J'aimerais tellement que tu reviennes passer quelques jours à Toronto avant de te jeter dans la gueule du loup, ou devrais-je dire de la louve.
— C'est un bel essai, mais j'ai été entraîné à reconnaître la manipulation psychologique.
— Alors, que j'utilise la tentation, la culpabilité, le mensonge ou la terreur, rien ne fonctionnera ?
— Non, enfin, pas cette fois. Ma vie ne vaut pas celle des milliards d'individus que menacent la reine des Dracos et le Prince des Anantas. J'aimerais vraiment que tu le comprennes.
— Je n'y peux rien, je suis égoïste en amour.
— Ce sera donc une belle occasion de changer.
— Arrête de me traiter comme une petite fille.
— Arrête de me traiter comme un sot.
— J'ai si peur de ne plus jamais te revoir, te parler, te toucher…
— Tu es bien plus courageuse que tu ne le penses, Océane Chevalier. Si les traqueurs pouvaient être des femmes, tu aurais un succès fou.
— Pourquoi n'acceptent-ils que des hommes ?
En l'entendant soudainement passer de l'état d'affliction à celui d'insurrection, il ne put s'empêcher de rire.
— C'était une question sérieuse ! s'offensa-t-elle.
— Tu essaies toujours de tout changer, même des traditions qui existent depuis des milliers d'années !
— Ce n'est pas parce qu'une coutume remonte à l'âge de pierre qu'elle, est immuable.
— Tu es impossible.
— Dis-moi que tu m'aimes ainsi.
— Oui, je t'aime ainsi même si je ne comprends pas pourquoi.
— Mon père dit que les reptiliens ont une bonne tête sur les épaules, mais le cœur à la mauvaise place. Alors, j'imagine que lorsqu'on utilise l'un des deux, on n'a pas accès à l'autre.
— Peut-être bien.
— Si tu ne m'as pas appelée pour te disputer avec moi, pour quelle raison l'as-tu fait, au juste ? le questionna l'agente de l'ANGE.
— Je voulais surtout me vanter d'avoir tué tous les princes Dracos, ainsi que leurs serviteurs reptiliens.
— Et la reine ?
— Elle m'a échappé, mais ce n'est que partie remise.
— Tu es le plus têtu des hommes que je connaisse.
— Tu m'as pourtant dit que Yannick Jeffrey l'était plus que moi.
— Je ne savais pas de quoi je parlais. Embrasse-moi.
Thierry arqua les sourcils, pris au dépourvu.
— Mon esprit de reptilien ne sait pas trop comment traiter cette requête, répondit-il enfin.
Océane s'esclaffa, ce qui apaisa instantanément les craintes du Naga. Ce qu'il aimait le plus chez l'espionne, c'était son esprit indépendant et ses folles réponses, et non sa tendance à la moralisation.
— Tu peux embrasser le téléphone, suggéra-t-elle en riant. Thierry jeta un coup d'œil autour de lui pour s'assurer qu'il était bien seul, puis fit ce qu'elle lui demandait.
— Maintenant, promets-moi de ne pas te faire tuer.
— Et si cela devait quand même se produire ?
— Tu irais en enfer, évidemment.
— Je t'enverrais des cartes postales.
— Toutes brûlées ?
Le Naga sentit soudain une présence dans la forêt.
— Océane, je dois y aller.
— Fais attention à toi.
— Ça, je peux te le promettre. Je te rappellerai.
— Oui, je te le conseille.
Il ferma le téléphone et le remit lentement dans sa poche tout en sondant les alentours. Ce qu'il percevait n'était pas d'origine reptilienne… Il se leva et parcourut la forêt de son regard perçant. Une femme sortit alors d'entre les sapins. Elle portait une longue robe blanche et un châle rouge recouvrait ses épaules. Ses cheveux blonds étaient tressés dans son dos.
— Mère ?
— Est-ce moi que tu cherches, Thierry ?
— Au fond de moi j'avais envie de vous revoir, mais je suis surtout venu ici pour méditer.
— Tu as donc instinctivement choisi l'endroit parfait. Elle s'immobilisa devant lui et le contempla avec bonheur.
— Je vous remercie pour la carte routière et le reste des explications que vous m'avez données. Elles m'ont été fort utiles.
— Mais la reine vit toujours.
— Pour l'instant. Ses jours sont comptés.
— Je t'aiderai aussi dans ta deuxième entreprise.
— Vous savez vraiment tout ce que je pense, s'alarma Thierry.
— Je peux facilement lire dans tes pensées lorsqu'elles sont accompagnées de fortes émotions. Alors, ne va surtout pas croire que je t'espionne.
— Je ne crois pas que vous soyez le genre de personne qui ferait une chose pareille.
— Quand j'ai senti que tu étais ici, j'ai décidé de t'apporter quelque chose qui te ferait plaisir.
Thierry fut pris de court, car il ne savait même pas lui-même ce qu'il aimait, en dehors des armes et des combats.
Élanorée lui tendit une enveloppe jaunie. Il l'accepta avec un peu de recul, ne sachant pas à quoi s'attendre.
— Ouvre-la, le pressa la Pléadienne.
L'enveloppe n'était pas cachetée et semblait avoir été refermée des centaines de fois. En l'ouvrant, il y trouva la photographie d'un inconnu en noir et blanc. Celui-ci se tenait debout devant un vieux mur de pierre comme on en trouvait en Europe.
— C'est mon père ? osa-t-il demander.
— Oui, c'est Padraig. Je voulais juste que tu voies son visage avant de partir en mission.
— Êtes-vous en train de m'accorder une dernière faveur avant ma mort ?
— Les gens de mon peuple entrevoient tous les dénouements possibles d'une situation.
— Je tiens donc cette curieuse habitude de vous.
Il voulut lui remettre la photographie.
— Tu peux la conserver, si tu le veux. Je la destinais au premier de mes fils qui manifesterait un intérêt envers son géniteur.
— Vous n'avez pas eu de filles ?
— Aucune.
Élanorée caressa doucement la joue de son fils et retourna dans la forêt. Dès qu'elle eut disparu entre les arbres, Thierry baissa à nouveau les yeux sur la photographie de son père. Ce dernier avait la même mâchoire carrée que lui, mais leur ressemblance s'arrêtait là. Padraig Atkinson avait les cheveux noirs, grisonnant sur les tempes et des yeux foncés, comme ceux de Cédric. En arrière-plan, le mur semblait être une enceinte quelconque. Thierry remarqua alors dans le coin gauche de la photographie un écriteau, mais ce dernier était trop petit pour qu'il puisse lire à l'œil nu ce qui y était inscrit. Cependant, avec une loupe… Il tourna les talons et dévala la montagne avec la ferme intention de déchiffrer cette énigme avant de partir pour Sherbrooke.